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La Cerisaie d’Anton Tchekhov

La cerisaie de la pièce éponyme est certainement l’une de plus belles incarnations de la Chose que la littérature occidentale ait jamais connue. La beauté glacée de cette propriété de Ranevskaïa à la blancheur immaculée est éclatante. Sa superficie immense équivaut à une cinquantaine de jardins du Luxembourg et Lopakhine l’achètera aux enchères à la fin de la pièce pour une somme extravagante, laquelle contredit ses convictions utilitaristes. À l’instar de la forêt de Birnam qui annonce la chute de Macbeth, la cerisaie camoufle l’horreur de la mort derrière ses branches élégantes. Elle a englouti Gricha, le fils de sept ans de Ranevskaïa, mais également, comme Trofimov le profère dans un élan de parole oraculaire, « les âmes vivantes » des serfs morts : leur regard nous guette partout : « dans chaque cerise, dans chaque feuille, dans chaque tronc d’arbre ». Il est de notoriété publique que Tchekhov était insatisfait de la mise en scène de La Cerisaie de Stanislavski. Ce dernier traita la pièce comme un drame psychologique, alors que l’auteur insistait sur le fait que ce fût une comédie, ou même un vaudeville. Il est vrai que La Cerisaie grouille de personnages comiques voire burlesques : Epikhodov, surnommé « vingt-deux malheurs », Siméonov-Pichtchik « à tête de cheval », Gaev, le « mémé » avec son bonbon éternel à la bouche, etc. Les rôles principaux de Ranevskaïa et Lopakhine portent le sceau enfantin, principale caractéristique du comique selon Freud : lunatiques, ils sont possédés par leurs idées fixes et ne finissent presque jamais leurs phrases ; incapables d’agir, ils enchaînent les passages à l’acte. Grâce à ce somnambulisme, dans les blancs de la communication interrompue, la voix autre se fait entendre, la voix ventriloque – dont la clownesse Charlotte est l’ambassadrice notable – de l’Autre scène. Les habitants de La Cerisaie peuvent être définis par le mot qui sort de la bouche du vieux Firs : nedotyopa. Ce signifiant, « propre à rien » dans la version française, est littéralement traduit par « mal fabriqué » ou « bâclé » (ce qui nous fait penser aux bonshommes foutus à la six-quatre-deux de Schreber). En effet, l’on ne peut qu’être inconsistant ou ridicule, nedotyopa face à la Chose dont la brillance éclatante jette son ombre sur le sujet.

Quelques mots à propos de la psychothérapie

Habituellement, nous consultons un psychothérapeute dans deux cas.

Premièrement, quand quelque chose d’indésirable et d’incontrôlable se répète dans notre vie. Une addiction serait probablement l’exemple le plus emblématique d’une telle répétition menant à un échec professionnel et familial, à la détérioration dramatique de la santé etc.

L’on peut être dépendant non seulement de l’alcool ou d’autres substances toxiques mais également de quelqu’un. « Encore et encore, je tombe dans le même piège ! » : de telles plaintes ne sont pas rares dans la pratique psychanalytique. Une succession de mauvais choix amoureux, d’adultères, de divorces, toujours les mêmes erreurs, tout cela ressemble en quelque sort à un destin funeste chanté par les tragédies grecques…

La répétition paraît aussi sous la forme d’une procrastination, de pensées et d’actions obsessionnelles et d’un sentiment constant d’occasions manquées. Nous nous auto-blâmons ou lançons des reproches à notre entourage : « encore raté », « pas de chance », « le manque de confiance en soi »… Pourtant, quoi que nous fassions, rien n’y fait et ça tourne toujours en boucle.

En dehors de la répétition, il existe un autre motif susceptible de mener en cabinet du psychanalyste. Cette fois, il s’agit au contraire de quelque chose d’imprévisible qui nous tombe dessus sans crier gare. Cela peut être un événement tragique : mort d’un être cher, violence subie, séparation, perte d’emploi ou maladie grave.

Le deuil n’est pas la seule et unique cause de la souffrance. Les événements joyeux peuvent eux aussi plonger l’individu dans un état de stupeur, d’angoisse et de perplexité. Le changement de rôle social (mariage, naissance d’un enfant, promotion professionnelle etc.) peut provoquer des vertiges existentiels et nécessiter un accompagnement psychanalytique.

En cas de répétition symptomatique ou d’un accident divisant la vie en « avant » et en « après », le patient peut identifier sa souffrance comme psychique. Or, cela devient beaucoup plus compliqué lorsque nous nous trouvons dans le domaine psychosomatique.

Fatigue chronique, insomnies, anxiété due au moindre souci, voire sans raison (en tout cas, apparente), maux de tête, douleurs cardiaques et gastriques, problèmes respiratoires, frigidité, dysfonctionnement érectile et autres symptômes sans substrat organique évident témoignent souvent d’une souffrance psychique réprimée. Le plus souvent, il s’agit d’attaques de paniques (ressemblant parfois à une crise cardiaque) ou de dépressions masquées (lors desquelles le manque d’envie de vivre entrave le corps en altérant ses fonctions vitales, telles que la libido, la digestion, la concentration, les processus cognitifs etc.).

Le travail psychothérapeutique permet de rompre le cercle vicieux de la répétition obsédante, de traverser une expérience traumatique, de surmonter le deuil, de trouver ses propres réponses aux défis de la vie et d’apprendre à gérer son angoisse. La psychanalyse peut extraire de l’impasse existentielle et aide à retrouver sinon le bonheur, du moins « la paix et la volonté ».

Le psychanalyste ne prescrit pas de médicaments. En revanche, il peut, le cas échéant, orienter vers un collègue psychiatre à même de rédiger l’ordonnance nécessaire.