Tel : 07.87.29.74.45
ADELI no. : 75 93 6359 1
Siret : 831 976 394 00013
Pratique en libéral dans
le quartier du canal Saint-Martin :
40, rue Lucien Sampaix
75010 Paris
Prendre rendez-vous

La Cerisaie d’Anton Tchekhov

La cerisaie de la pièce éponyme est certainement l’une de plus belles incarnations de la Chose que la littérature occidentale ait jamais connue. La beauté glacée de cette propriété de Ranevskaïa à la blancheur immaculée est éclatante. Sa superficie immense équivaut à une cinquantaine de jardins du Luxembourg et Lopakhine l’achètera aux enchères à la fin de la pièce pour une somme extravagante, laquelle contredit ses convictions utilitaristes. À l’instar de la forêt de Birnam qui annonce la chute de Macbeth, la cerisaie camoufle l’horreur de la mort derrière ses branches élégantes. Elle a englouti Gricha, le fils de sept ans de Ranevskaïa, mais également, comme Trofimov le profère dans un élan de parole oraculaire, « les âmes vivantes » des serfs morts : leur regard nous guette partout : « dans chaque cerise, dans chaque feuille, dans chaque tronc d’arbre ». Il est de notoriété publique que Tchekhov était insatisfait de la mise en scène de La Cerisaie de Stanislavski. Ce dernier traita la pièce comme un drame psychologique, alors que l’auteur insistait sur le fait que ce fût une comédie, ou même un vaudeville. Il est vrai que La Cerisaie grouille de personnages comiques voire burlesques : Epikhodov, surnommé « vingt-deux malheurs », Siméonov-Pichtchik « à tête de cheval », Gaev, le « mémé » avec son bonbon éternel à la bouche, etc. Les rôles principaux de Ranevskaïa et Lopakhine portent le sceau enfantin, principale caractéristique du comique selon Freud : lunatiques, ils sont possédés par leurs idées fixes et ne finissent presque jamais leurs phrases ; incapables d’agir, ils enchaînent les passages à l’acte. Grâce à ce somnambulisme, dans les blancs de la communication interrompue, la voix autre se fait entendre, la voix ventriloque – dont la clownesse Charlotte est l’ambassadrice notable – de l’Autre scène. Les habitants de La Cerisaie peuvent être définis par le mot qui sort de la bouche du vieux Firs : nedotyopa. Ce signifiant, « propre à rien » dans la version française, est littéralement traduit par « mal fabriqué » ou « bâclé » (ce qui nous fait penser aux bonshommes foutus à la six-quatre-deux de Schreber). En effet, l’on ne peut qu’être inconsistant ou ridicule, nedotyopa face à la Chose dont la brillance éclatante jette son ombre sur le sujet.